Des programmes d'histoire revus et corrigés par le Parlement ?

Par Bernard Girard | Enseignant blogueur | 30/10/2008 | 17H48

Bernard Girard est professeur d'histoire-géographie dans un collège de l'Ouest de la France. Il a déjà publié plusieurs tribunes sur Rue89 et souhaitait réagir à l'idée de Xavier Darcos de faire préparer les programmes d'histoire par le Parlement. Les programmes d'histoire décidés par le Parlement ? Avec cette idée lancée devant la mission d'information sur les questions mémorielles de l'Assemblée nationale, Darcos ne pouvait qu'aller au-devant des désirs maintes fois exprimés par Sarkozy. Avec l'épisode malheureux de la lettre de Guy Môquet en lycée, avec la proposition -non moins malheureuse- de confier à chaque élève de CM2 la mémoire d'un enfant de la Shoah, mais aussi avec le discours de Dakar sur l'Afrique ou celui de Latran sur la France « fille aînée de l'Eglise », on sait la propension du président de la République à réécrire l'histoire mais aussi à dire comment on doit l'enseigner. Au cours de son audition du mardi 28 octobre, le ministre a d'ailleurs commis un curieux lapsus. En donnant la liste des lois mémorielles votées ces dernières années et qui doivent obligatoirement trouver leur traduction dans les programmes scolaires -« ça fait partie de nos missions, ce sont des lois, l'école les intègre »-, il a bien imprudemment rajouté -en s'y affichant « favorable à titre personnel »- ce fameux amendement « les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française outre-mer ». (Voir la vidéo)

> Le député Christian Vanneste lui fait alors observer que l'amendement en question avait finalement été retiré suite au tollé qu'il avait provoqué chez les historiens et les enseignants. Moment d'inattention ou bien le ministre rêve-t-il tout haut ? « Les héros... les exemples... les modèles positifs » Pour savoir ce que seraient les programmes scolaires écrits par le Parlement, il suffit d'écouter les observations présentées par quelques députés suite à la communication du ministre. On peut y voir un Christian Vanneste brandissant le manuel d'histoire-géographie Nathan, scandalisé par la présentation de la question coloniale où « il n'y a pas grand-chose de positif », alors, affirme-t-il, que la colonisation a apporté tellement de progrès médicaux en Afrique et en Asie... (Voir la vidéo.)

> Pour Vanneste, l'histoire à l'école doit enseigner « les héros... les exemples... les modèles positifs », mettre en valeur tous ceux qui « ont donné leur vie pour la France », en un mot faire naître chez les élèves « un rapport positif avec leur pays ». On imagine ce que le thème du héros « positif » (l'adjectif apparaît une demi-douzaine de fois) hérité de la propagande stalinienne pourrait donner transcrit en programme scolaire. Bugeaud, qui enfumait les Arabes dans les grottes serait sans doute perçu comme un bienfaiteur de l'Algérie. Et la mort honteuse de millions de jeunes dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, comme une grande avancée dans l'histoire de l'humanité. Une morale d'Etat et une sorte de catéchisme historique Le manuel Nathan se trouve à nouveau bien malmené par le député Lionnel Luca, avec un enseignement qui ne donne pas de « vision positive (encore !) de notre histoire ». Pour Luca, l'histoire à l'école doit avoir pour objet de « donner aux jeunes des motifs d'attachement à la nation ». Il est vrai qu'avec les bûchers de Montségur, le Code noir, les guerres napoléoniennes, la rafle du Vel' d'Hiv' ou les massacres de Sétif, l'attachement à la nation ne va pas de soi. Une histoire officielle, donc, véhiculant une morale d'Etat, gommant les questions dérangeantes, une sorte de petit catéchisme historique destiné aux enfants, c'est ainsi que pourraient se présenter les programmes d'histoire écrits par le Parlement. Un Parlement mû par une vision étroitement idéologique de l'histoire, frileusement bornée par les frontières nationales, réduisant les programmes à une série de dates et de personnages, les « héros positifs », qu'il suffirait de mémoriser. C'est d'ailleurs dans cet esprit, précise Darcos aujourd'hui, qu'ont été conçus les programmes du primaire :

« Il est légitime de demander à la représentation nationale son avis sur les programmes. Nous l'avons fait sur les programmes du primaire et cet avis a été utile. »

De nouveaux programmes à chaque changement de majorité ? Mise au point intéressante : alors qu'on ne sait toujours pas qui a conçu ces programmes bâclés et rétrogrades, que les enseignants ont été superbement ignorés, Darcos, nous apprend que, pour ce qui touche à l'apprentissage de l'histoire, il s'en est remis à la grande sagesse d'éminents spécialistes comme les députés Vanneste et Luca. Cette énième annonce médiatique du ministre intervient alors que les enseignants de collège découvrent à peine les nouveaux programmes d'histoire applicables à la rentrée 2009, des programmes qui, si le ministre allait jusqu'au bout de sa logique, devraient être retirés de la circulation pour être réécrits par les parlementaires, « une bonne fois pour toutes », a-t-il précisé. « Une bonne fois pour toutes », vraiment ? Darcos devrait quand même se rendre compte que donner au Parlement la responsabilité de rédiger les programmes d'histoire expose au risque de devoir en élaborer de nouveaux à chaque changement de majorité et que faire dépendre l'avenir de l'école de capricieuses considérations politiques n'est sûrement pas dans l'intérêt des élèves.